Qu'ils travaillent à l'hôpital Cochin, en plein centre de Paris, ou aux urgences pédiatriques de Roubaix, dans le Nord ; qu'ils soient infirmier, ambulancier, kinésithérapeute ou pédiatre ; tous font le même constat : l'hôpital public est en grande souffrance.
Depuis plusieurs semaines, les soignants dénoncent des conditions de travail insupportables au travers de pétitions ou encore avec le mot-clef sur Twitter #BalanceTonHosto. Une situation de crise née d'un manque d'effectifs, d'une activité croissante et d'une dette des hôpitaux publics qui ne cessent d'augmenter. Un tiers d'entre eux serait en situation d'endettement excessif selon la Cour des comptes.
"Le travail des équipes soignantes auprès du malade est de plus en plus technique et empêche la prise de parole qui rendrait agréable le soin", constate le kinésithérapeute hospitalier à Cochin, qui va d'un service à l'autre prodiguer des soins à ses malades. "Ce temps qu’on nous enlève, on sent que les gens sont plus angoissés, moins sereins", renchérit , l'infirmier.
Pour de nombreux observateurs, cette souffrance est surtout liée à l’instauration, à partir de 2007, de la tarification à l’activité (T2A). "Avant à l’hôpital, on prodiguait des soins. Désormais, on “produit” des soins sur le modèle d’une entreprise, avec une logique uniquement financière et comptable. L’hôpital est devenu un lieu déshumanisé où les médecins sont poussés à être en compétition les uns avec les autres sans que le travail n’ait plus de sens", affirme Marie Pezé, docteur en psychologie, psychanalyste et spécialiste de la souffrance au travail.
Un rapport rendu public lundi 8 janvier décrit de graves problèmes de souffrance au travail au CHU de Grenoble. Liée dans certains cas à des querelles parfois violentes entre médecins, cette souffrance est aussi provoquée par un management dicté par une "logique comptable et financière".
Un jeune neurochirurgien pédiatrique de 36 ans qui, de l’avis général, était brillant et très investi dans son travail. En novembre, il s’est donné la mort sur son lieu de travail, au CHU de Grenoble. Selon une lettre qu’il a laissée, ce suicide aurait été lié à des motifs personnels. "Il n’en reste pas moins que le choix du lieu a une signification", note le rapport rendu public par le ministère de la santé. Selon ce rapport, cette mort brutale a "profondément traumatisé" les médecins et les équipes du CHU de Grenoble, où règne depuis plusieurs mois un climat très lourd, plusieurs médecins ayant dénoncé un harcèlement moral et de la souffrance au travail.
C’est pour cette raison que la ministre Agnès Buzyn a confié une mission à Édouard Couty, médiateur national chargé des hôpitaux. Au terme de ce travail, celui-ci livre un diagnostic sévère, décrivant des conflits aigus, dans certains services, entre des médecins en place depuis longtemps et de jeunes chefs de service venus de l’extérieur et ayant le titre de professeurs.
Ce rapport n’a pas surpris le professeur Philippe Halimi, chef du service de radiologie à l’hôpital Pompidou à Paris. "Nous avions nous-même alerté sur ces souffrances graves à Grenoble, qu’on retrouve dans de nombreux hôpitaux en France où règne une maltraitance institutionnelle", assure ce médecin, qui préside l’Association nationale Jean-Louis-Megnien, du nom d’un cardiologue qui, fin 2015, s’est suicidé à Pompidou.
"L'hôpital est au bord du burn-out parce qu'on a trop traîné", a estimé mardi 13 février le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger dans Les 4 Vérités. Il demande qu'on "revoie son mode de financement, son articulation avec la médecine de ville", qu'on "entende le mal-être des soignants" et qu'on "arrête de gouverner l'hôpital par circulaires, par injonctions".
"J'entends bien les soucis d'économies", mais "on parle de santé", a observé le responsable syndical. "Il faut davantage de moyens parce que la population vieillit".
"L'hôpital est à l'os", selon le président de la Fédération hospitalière de France. Il n'y a plus rien à rogner, et pourtant un nouveau plan d'économies de 1,5 milliard d'euros est encore demandé à l'hôpital cette année. Pour tenter de calmer la colère qui monte, Édouard Philippe présente un plan ce mardi afin d'éviter, qu'après les prisons et les EHPAD, les hôpitaux soient le nouveau point chaud de février.
Les fonctionnaires sont appelés à la grève fin mars pour contester les 120.000 suppressions de postes. Les retraités sont très en colère contre la hausse de la CSG sans compensation. L'effort qu'ils doivent faire pour les plus jeunes ne passe pas. Dans les territoires ruraux, la hausse du prix du diesel et la limitation à 80 km/h sont mal accueillies. La bienveillance à l'égard du couple exécutif est en train de se transformer en impatience : baisse dans les sondages et défaite dans les urnes.
Le projet de transformation du système de santé présenté ce mardi 13 février matin par Edouard Philippe a été plutôt bien reçu, mais ne fait pas l’unanimité.
Dans son discours, Edouard Philippe a longtemps évoqué la question du financement. Il a ainsi annoncé une enveloppe de "100 millions d'euros par an en plus de l'Ondam", l'objectif national des dépenses maladie qui correspond au budget de l'Assurance maladie. "Dès cette année, les tarifs hospitaliers intégreront une forte incitation à la médecine ambulatoire", a-t-il encore précisé. Une manière de faire des économies, puisque la médecine ambulatoire permet la prise en charge d'un patient, sans hospitalisation, ou pour une durée de quelques heures.
"La diversification des modes de financement doit concerner l’hôpital mais aussi la médecine de ville", a-t-il par ailleurs déclaré Edouard Philippe. Pour le chef du gouvernement, "l'exercice isolé de la médecine de ville a vocation à devenir l'exception".
Le Premier ministre a également annoncé le reversement de l'intégralité des gains des PV liés au dépassement de la vitesse maximale de 80 km/h sur les routes secondaires pour la prise en charge médicale des accidentés de la route. "Tabac, vaccins, sécurité routière : la prévention doit être le premier pan de notre politique. Nous allons continuer", a-t-il déclaré.
Le président de la Fédération de l’hospitalisation publique, la FHF, a trouvé le discours "prometteur". "Les chantiers cités correspondent bien aux points de blocage de notre système et le calendrier resserré garantit qu’on ne renvoie pas les problèmes aux calendes grecques", réagit Frédéric Valletoux. Le président de la FHF, qui fédère 1.100 hôpitaux publics, est aussi satisfait que le Premier ministre implique la médecine de ville.
Seul bémol, pour lui, "la baisse annoncée des tarifs de nos actes est inquiétante. Quelle sera-t-elle ? L’hôpital a un genou à terre, il ne faudrait pas qu’il en ait deux".
La Fédération des établissements privés à but non lucratif, qui regroupe beaucoup de maisons de retraite, adhère également aux orientations présentées par le Premier ministre, mais s’inquiète beaucoup de la baisse de tarifs annoncée.
"Nous sommes à l’os, plaide le directeur de la Fehap. Est-ce que le secteur privé à but non lucratif a encore un avenir aux yeux du gouvernement ?", interroge le directeur général de la Fehap, Antoine Perrin. "On a fait 10 % de gain de productivité en cinq ans, on n’en peut plus, il y a urgence à nous soutenir !" insiste-t-il.
Le premier syndicat de médecins libéraux, la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF) met en garde : "Cette réforme globale présentée par le Premier ministre, écrit son président, Jean-Paul Ortiz, ne doit pas être menée par des experts technocrates éloignés de la réalité du terrain, mais doit être conduite avec et par ceux qui font le système de santé, notamment les médecins libéraux. Dans le cas contraire, elle serait vouée à l’échec."
Le président de la Fédération des médecins de France, Jean-Paul Hamon estime lui qu’"on amuse la galerie" et regrette la faiblesse des moyens annoncés : "100 millions d’euros par an, quand on va encore dépenser 400 millions d’euros pour améliorer l’informatique hospitalière afin de faciliter la communication entre la ville et l’hôpital, c’est insupportable". Il s’inquiète aussi du futur mode de rémunération des médecins libéraux, tout comme Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux.
Discours d’Edouard Philippe du mardi 13 février lors de la présentation du plan de transformation de l’offre de soins